L’attention : un enjeu majeur du 21ème siècle

L’attention peut être définie comme la capacité à rester concentré longtemps sur quelque chose et constitue une fonction régulatrice entre ce qui arrive dans notre cerveau et ce qui nous vient de l’extérieur. Elle représente un équilibre entre le monde intérieur et le monde extérieur, et pourtant cet équilibre n’a jamais été autant menacé qu’aujourd’hui. En effet, notre société moderne vit dans une accélération constante (rapidité dans le déplacement, dans la communication…) qui cependant, met en avant un paradoxe. Car si tout s’accélère, nous devrions alors gagner du temps ? Mais ce n’est pas le cas. Le paradoxe de la modernité, c’est ce qui nous donne la sensation que l’on n’a jamais eu aussi peu de temps, une sensation de famine temporelle et pourtant, le mode de vie s’accélère. Ce qui explique notamment ce paradoxe sont les outils numériques et leur capacité à proposer une infinité de services. C’est le cas du « smartphone » qui provoque un bousculement anthropologique : le temps moyen passé sur les écrans est passé de 5h à 10h par jour, car ces outils proposent des tonnes de services addictifs, donc l’attention humaine se raréfie et prend une valeur encore plus grande avec les enjeux écologiques et humains de notre époque.

En effet, Gérald Bronner, dans Apocalypse cognitive (2021), met en avant que le grand défi auquel l’humanité est confrontée au 21ème siècle est l’utilisation raisonnable de l’attention. Les grands défis de notre société (changement climatique, épuisement des ressources naturelles etc…) menacent le futur de l’humanité. L’humanité a donc besoin de manière urgente de ce temps de cerveau disponible pour pouvoir trouver, créer et inventer des solutions. Mais Bronner souligne à quel point nous sommes limités, et aujourd’hui plus qu’hier, à orienter volontairement et raisonnablement notre attention, tellement les écrans numériques ont pris en otage cette dernière. Le smartphone et les écrans dévorent nos temps d’ennui, nos rêveries, notre errance mentale créative. L’impact et la présence des écrans est telle que l’industrie du chewing-gum s’effondre du fait que lorsque nous sommes dans la file d’attente à la caisse, notre regard et surtout celui des enfants, est plutôt attiré et capturé par un écran plutôt que par les emballages colorés de ces produits, placés dans un lieu stratégiquement pensé pour attirer le regard (mais ça, c’était avant !). Ces « parallélépipèdes lumineux » comme les appelle Bronner, vampirisent notre temps de cerveau disponible.

Il faut savoir que l’information dans notre cerveau de primate a une valeur écologique, elle est récompensante en elle-même. On est génétiquement façonné pour aller chercher de l’information car celle-ci assure notre survie. Mais cela peut être utilisé à notre détriment. Par exemple, les faits divers sont une information récompensante car informative mais ils sont aussi faciles à absorber car ils sollicitent un effort minimal. Cet effort minimal est une des bases du fonctionnement du cerveau, qui recherche toujours à minimiser l’énergie déployée. La neuro-économie, les ingénieurs et neuroscientifiques de la Sillicon Valley se sont donc appropriés les concepts de base du fonctionnement du cerveau comme la minimisation de l’énergie, le processus récompensatoire et le rôle de la dopamine dans les addictions pour concevoir des applications qui minimisent l’effort, maximisent la récompense et jouent sur le processus addictif en déclenchant la sécrétion de la dopamine (on peut citer à titre d’exemple l’autoplay sur Netflix qui démarre automatiquement la vidéo suivante, activant le circuit dopaminergique). Et tout cela dans le seul et unique but de capter l’attention afin de convertir celle-ci en ressources financières (97% des revenus de Facebook proviennent de la publicité). Il y a une donc une certaine compétition de la captation de l’attention que l’on peut appeler une économie de l’attention et qui représente un modèle né avec la publicité. Patrick Lelay le disait lui-même : « ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau disponible ». L’attention devient donc le fonds de commerce de certaines entreprises, et c’est de cette manière que pour Bronner, l’attention est un véritable trésor qui est malheureusement manipulé, détourné et utilisé : « le plus précieux des trésors peut être détourné et même dérobé de milles façons ». C’est un véritable « cambriolage attentionnel » que provoquent les écrans et leurs applications numériques, ayant pour effet une réduction du temps de sommeil (qui concerne l’ensemble de la planète) et des impacts sur nos capacités cognitives et sur le développement cognitif de l’enfant. Il y a, par exemple, des jeunes enfants en maternelle qui ne savent plus tenir un stylo. Ces enfants perdent cette motricité car les muscles sollicités pour tenir le stylo ne sont pas les mêmes que ceux qui sont nécessaires pour utiliser la tablette. Résultat, il y a des enfants qui savent utiliser la tablette mais qui ne savent plus utiliser le stylo. Sans oublier le fait que les addictions numériques peuvent impacter lourdement les résultats scolaires.

Même s’il y a des prises de conscience individuelles qui peuvent induire de bons geste, l’enjeu reste surtout et en réalité politique. Il s’agit d’un véritable enjeu de santé publique. Devrions-nous mettre en place des réglementations afin de réguler le contenu et le flux des éléments de captation de l’attention, voire même d’interdire certains ressorts de la neuro-économie ? Beaucoup d’industries ont les moyens de nous faire consommer ces contenus et le gouvernement encourage à la numérisation des activités. Mais a-t-on besoin de tout numériser, et cela dès l’école maternelle ? Comment utiliser l’outil numérique en milieu scolaire sans qu’il n’y ait d’impact sur le développement cognitif ?

Pour Bronner, l’attention est ce trésor que l’évolution de l’espèce a rendu possible à l’humanité, et qui nous permet d’explorer le champ des possibles, par nos temps d’ennui et de rêveries créatives afin de parvenir à faire face aux grands défis de notre époque. Mais ce trésor, tout comme l’humanité, est plus que jamais menacée. L’attention est la « question la plus politique et la plus importante qui soit » selon Bronner. Alors éloignons-nous de ces parallélépipèdes lumineux dès que nous en avons la possibilité, laissons-nous aller à des moments d’errance mentale, d’ennui et de rêveries, et reprenons le contrôle de notre attention, trésor que l’humanité a sûrement de plus cher en ce 21ème siècle.

Comment préserver notre attention ?

Il y a plusieurs activités qui permettent de préserver la capacité attentionnelle : le sport, la musique, et toutes les pratiques « exigeantes » d’un point de vue cognitif comme la lecture !

Livres lunettes et café

Sources :

  • Café éthique de l’Ecole Centrale de Lyon : L’augmentation de la consommation de streaming : quel impact sur l’attention cognitive ?
  • Guillermin, M. (2022). Bulletin Humanisme et rationalité. Revue des sciences philosophiques et théologiques, 106, 489-543. https://doi.org/10.3917/rspt.1063.0489
  • Bronner, G. Apocalypse cognitive. PUF

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