Controverses sur la gamification dans l’éducation

Les « jeux éducatifs » existent depuis tout temps sur téléphones, ordinateurs ou tablettes. Mais ce n’est que récemment, avec l’introduction de l’intelligence artificielle et de l’accroissement des connaissances scientifiques sur le fonctionnement du cerveau humain que l’on retrouve de plus en plus ces jeux éducatifs à l’école. Ils font de plus en plus partie du processus d’apprentissage. En effet, le « jeu » suscite la motivation par l’envie de gagner, par la récompense. En somme, la gamification dans l’éducation consiste à introduire des éléments de jeu ou des mécanismes ludiques dans le processus d’apprentissage pour susciter la motivation en activant les mécanismes de récompense. Ces derniers vont libérer de la dopamine, neurotransmetteur qui génère du plaisir, dans les zones cérébrales liées à la mémoire comme l’hippocampe, et par conséquent favoriser l’apprentissage. Ces systèmes ludiques peuvent fonctionner comme une aide et un soutien aux élèves souffrant d’un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), car ces élèves présentent généralement une faible motivation, du fait d’un potentiel déficit en dopamine, ce qui impacte fortement leur apprentissage. Mais ils peuvent également être mis en œuvre auprès d’élèves en difficulté dans une matière et étant en souffrance dans leur apprentissage. La gamification constitue en cela une opportunité pour l’éducation de renforcer les apprentissages.

Néanmoins, la gamification est aussi beaucoup utilisée dans le domaine du marketing pour fidéliser les clients, par exemple avec les points de fidélité accumulés par les achats, les vignettes qui permettent d’obtenir des produits gratuitement, etc. Et c’est aussi de cette façon que sont conçues les applications comme Facebook, Twitter, Instagram et plein d’autres qui jouent volontairement sur notre système de récompense afin de déclencher la sécrétion de dopamine pour générer du plaisir et prolonger le plus longtemps possible l’usage que nous en faisons, nous rendant en quelque sorte addicts.

La question de l’addiction technologique est donc aussi susceptible de se poser dans le cas de jeunes élèves apprenant grâce à des jeux éducatifs. Les jeunes élèves sont plus démunis que les adultes face aux problèmes d’addiction, car les premières zones cérébrales qui se développent chez le jeune enfant sont les zones liées au traitement émotionnel alors que celles qui sont liées au contrôle de soi, à l’inhibition et qui englobent les fonctions exécutives, autrement dit les zones du lobe frontal, se développent plus tard, et arrivent à maturité seulement vers l’âge de 20 ans. C’est pourquoi, les jeunes enfants et adolescents sont les plus vulnérables face au phénomène de l’addiction. On est en effet plus susceptible de développer une addiction à 14 ans qu’à 21 ans. Par conséquent, l’usage des méthodes de gamification ne va pas sans risque, et on peut s’interroger sur l’influence que ces méthodes présentent sur le développement de l’autonomie et du libre-arbitre de l’enfant. Comment peuvent-ils encore rester un minimum maître de leur propre choix, parcours et expérience d’apprentissage ? Comment s’assurer que la gamification ne rime pas avec manipulation, et ne devienne pas une stratégie marketing appliquée à l’éducation voire une stratégie de contrôle comme c’est le cas en Chine avec le système du crédit social (qui a recourt à la gamification par ailleurs) ?

En plus de la gamification, des algorithmes d’intelligence artificielle sont utilisés afin de personnaliser le parcours d’apprentissage de l’élève, en s’adaptant à ses compétences, à ses appétences et à son niveau. En effet, des données peuvent être récoltées comme le nombre de connexion sur la plateforme, le temps de réponse, le parcours effectué par l’élève etc, pour créer un profil de l’étudiant et adapter le système à celui-ci. Tout cela tend à rendre l’apprentissage « facile » et « sans efforts ». Mais l’apprentissage doit-il être « facile » ? Quel(s) intérêt(s) cela peut-il présenter pour l’apprenant de ne pas avoir à fournir d’efforts pour apprendre ? Si on considère qu’une fonction de l’école est de préparer l’élève au monde du travail, est-ce vraiment le préparer à développer les compétences attendues dans ce monde que de rendre l’apprentissage « facile » et « sans efforts » ? La gamification et la personnalisation favorisent l’apprentissage en stimulant des capacités cognitives comme la mémoire et l’attention, mais peut-être au détriment de certaines « soft skills » comme la patience, la détermination, et le goût de l’effort, tout aussi importantes dans l’éducation et dans la vie en générale.

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